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Retable de Pandore



Que se passe-t-il dans la vie d’une architecte qui la convainque de se consacrer entièrement à l’art ? Deux évènements ont décidé du sort artistique de Vanessa Fanuele, une profanation et une révélation. La profanation consistât à ouvrir quelques unes des centaines de boîtes dans lesquelles sa grand-mère conservait toutes sortes de souvenirs. La révélation eut lieu à Rome où Vanessa fut éprise des ex-voto qu’elle se mit à photographier dans les vitrines des églises, avec l’appétit d’un collectionneur et la passion d’un détective, comme lorsqu’elle écume les musées d’histoire naturelle. Dès lors, la recherche de ses propres origines va croiser des pistes heuristiques qui la dépassent, son histoire personnelle s’emmêler à des récits universels, et sa fouille archéologique intime déborder sur le site de l’humanité.


La boite entre-ouverte, le pli déplié, suspendant le geste hésitant entre la tentation de la découverte et l’appréhension de mettre au jour une vérité encombrante, devient un motif récurrent dans l’œuvre. Cette transgression originelle qui, telle Pandore, n’avait pas mesuré les conséquences de son acte, donne lieu à une série de petites sculptures-structures à laquelle appartient Opus II. Incrustés dans une matière primordiale, une substance crouteuse – est-elle de nature organique, minérale ou végétale ? – on y découvre les perles, mèches de cheveux ou photographies que contenaient les boîtes à chaussure de l’aïeul, avec le sentiment coupable de violer un secret. Mais cette pratique singulière de l’assemblage chine ses matériaux sur les stands des vide-greniers. Ainsi ce sont les souvenirs des autres, de tout le monde, que l’artiste compile, fait bouillonner dans sa marmite alchimique d’où sortent ces objets magnétiques, qui ont tout l’air de nous impliquer dans un rite vaudou.


Cet univers plastique mettant à son service les techniques du collage, de la peinture ou du pastel, manipule des forces opposées qui se confrontent dans l’œuvre entre les empâtements violents et les délicats ornements de perles. La recette de cette émotion troublante émulsionne la sueur et le parfum, malaxe les entrailles et les bijoux, opère le syncrétisme de la séduction et du dégoût, dès lors que les boites sont ouvertes ; elle nous rappelle la saveur complexe de la lucidité.


La ressemblance de Décompositions à un retable d’église, figurant une vierge encadrée de deux symboles et une allégorie du Christ mort dans sa partie inférieure, vise moins la référence à l’art sacré qu’elle ne vérifie l’empreinte laissée par une culture sur la rétine de l’artiste et du regardeur interprétant ce rébus. Il y a là, bien sûr, la traduction d’une fascination pour l’histoire de l’art, la peinture de la première Renaissance – et ce cadavre pétrifié de chien pourrait citer le Christ verdâtre du retable d’Issenheim – mais surtout l’usage d’un langage commun, avec lequel parler de soi revient toujours à parler du monde.



Julie Portier



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