Les mondes perdus de Vanessa Fanuele
Etrangement, les œuvres de Vanessa Fanuele nous ramènent à une singulière atemporalité, instinctive, ou pourrait-on dire, à une certaine idée d’origines perdues, ces premiers temps nichés dans les arcanes obscures de notre mémoire collective, dont on a tous des images assez classiques qui prennent la forme de terres nourricières, de chaos énigmatiques, de premiers hommes debout...La nature y est omniprésente, en couleurs éclatantes, grossièrement jetées, par effet de superposition et de transparence, qui composent des tableaux lumineux où s’évanouit l’apparition discrète d’un corps humain solitaire, rapidement croqué dans un aplat d’ocre pâle, comme pour en souligner l’insignifiance. Des tableaux qui se déploient parfois en fresque composées de plusieurs panneaux peints et d’où émergent, en surface, des gouttelettes de peinture ou des coulures volontaires, laissées ici avec légèreté pour en faire ressentir la matérialité pigmentaire, à l’instar des flous pastel et humides de Bonnard. Vanessa Fanuele revendique cet héritage des avant-gardes, ces premières modernités picturales qui ont posé leur regard sur la décomposition des formes et de la lumière, ces papiers découpés de Matisse dont on retrouve parfois la trame colorée chez l’artiste. Mais qui dit modernité, dit aussi abandon, nostalgie, perdition, lorsque le temps décide de faire son œuvre. C’est alors le prisme du souvenir, de la reconstitution mentale, qui entre en jeu et c’est peut-être ce cheminement rétro-temporel que les œuvres de Fanuele nous invitent à faire, devant ces éclats intenses de couleurs joyeuses qui dessinent des forêts vierges de toute intervention humaine, devant ces images dont nous avons un jour rêvé dans notre lit d’enfant, devant ces étranges paysages crépusculaires, où seul le rayon lunaire semble avoir droit de citer pour éclairer des architectures de fêtes foraines abandonnées brillantes de feux oubliés. Souvenirs peut-être d’un cinéma hollywoodien rythmé par les hypnotiques plans-séquences de Michael Mann quand le bleu nuit s’habille de nostalgie, comme dans la peinture de jeux d’enfants que nous livre l’artiste sur fond de grands pins maritimes un peu romantiques. Ici, émerge la mémoire des utopies jadis rêvées par le Bauhaus et Le Corbusier, discernables à travers les enchevêtrements de lignes où s’animent de frêles modulors solitaires qui s’emploient à ériger les premières constructions de l’histoire. Echo inconscient de l’artiste à ses études d’architecture ?
A notre tour de plonger dans ces mondes perdus, paradis sauvages ou nuits de modernité évanescentes, dans ces flous, ces esquisses de structures, sous les fragiles lanternes du cinéma californien, quelque part entre le rose acidulé et le jaune clinquant, bientôt pâlis par le temps, quelque part dans une atmosphère singulière à la Peter Doig, quelque part dans les compositions barrées d’une bande jaune translucide évoquant l’ancienne pellicule photographique ou le filtre du songe.
Se remémorer, comme l’artiste a pu le faire après la disparition de sa grand-mère, lorsqu’elle ouvrit quelques boîtes qui lui avaient appartenues. C’est en découvrant ces choses secrètes d’une vie vécue qu’elle décida de devenir peintre, entièrement. Une manière peut-être d’exprimer par la peinture des passages, des visions, qui ont petit à petit pris la forme de tropiques mélancoliques. On ressent ce sentiment d’état originel dans l’Eternel Retour, grande toile inondée de mousson où transparaît un champ de coton sur fond de forêt amazonienne, peuplée par quelques esclaves d’autrefois. Lévi-Strauss aurait pu en livrer un texte inspiré. Cette notion de passage se fait moins sociologique et plus contemplative dans l’installation en trois dimensions imaginée par l’artiste, petit théâtre aux contours enfantins dans ses couleurs et ses éléments architecturés. Tel un conte, un voyage où la silhouette brune d’un Petit Prince, ici une fillette, nous tourne le dos pour regarder vers le soleil couchant à l’horizon. Il n’est pas anodin de dire que l’artiste revient, elle aussi à un état premier, celui de l’enfance, pour mettre en scène l’innocence retrouvée. Et se peindre discrètement.
Julie Chaizemartin
Critique d’art